Valérie Florentin, chargée de cours de l’École de traduction du campus Glendon, a toujours aimé aider les gens à comprendre et s’intéresse à l’enseignement « depuis toute petite.» Avec un doctorat à son actif, elle donne aujourd’hui des cours de traduction et travaille aussi comme traductrice indépendante.
« Il y a quelque chose de magique dans l’éducation et on espère avoir une incidence sur la vie des gens », déclare Valérie Florentin. Compte tenu de son intérêt pour les méthodes d’évaluation et « l’ungrading », Innovatus lui a demandé son avis sur l’avenir de l’enseignement et de l’apprentissage.
Q : Comment l’enseignement a-t-il changé depuis votre entrée dans la profession?
Valérie Florentin : Il a tellement changé ! La conception universelle a toujours existé, mais elle est omniprésente de nos jours. Les établissements accordent plus facilement des aménagements et en intègrent autant que possible afin que tout le monde en profite. Les classes sont de plus en plus diversifiées et les tests pour différents diagnostics sont de plus en plus disponibles. J’ai un TDAH (trouble de déficit de l’attention/hyperactivité). Aujourd’hui, je ne serais plus une enfant agaçante dans la classe. Beaucoup de troubles sont discutés et reconnus. Ajoutez à cela le concept de genre : de plus en plus de jeunes adultes décident de leur identité et l’ouverture d’esprit devient de plus en plus importante en enseignement.
Q : La technologie est-elle à l’origine des changements que vous observez ?
Valérie Florentin : La société est un moteur de changement. La technologie modifie ce que nous pouvons faire et la vitesse à laquelle nous le faisons, mais les changements se profilaient de toute façon. La technologie ne fait que suivre la tendance. Par exemple, l’enseignement à distance est offert depuis longtemps, mais la technologie l’a facilité.
Q : Comment pouvons-nous équilibrer notre besoin de connexion avec notre besoin de flexibilité ?
Valérie Florentin : Nous devons faire preuve de compassion, parler aux gens en tant que personnes et répondre à leurs besoins. Nous devons percevoir nos apprenants et apprenantes comme des individus, chaque étudiant et étudiante comme une personne, au lieu de considérer la classe comme un groupe.
Q : Comment l’internationalisation va-t-elle changer l’éducation et l’élargir, notamment avec la prévalence de l’apprentissage en réseau à l’échelle mondiale ?
Valérie Florentin : Toronto est déjà une ville multiculturelle, mais l’éducation sera élargie ailleurs. L’internationalisation change beaucoup de choses. Par exemple, vous ne pouvez pas supposer que vos étudiants et étudiantes ont reçu une éducation canadienne et comprennent les références nord-américaines. Nous nous appuyons beaucoup sur ce que nous supposons être des références communes.
L’internationalisation est un plus, mais ce n’est pas un concept nouveau. Dans le passé, cela signifiait se rendre à l’étranger, voyager. La technologie est utile; on a un apprentissage en réseau à l’échelle mondiale dans les cours. Ces contacts sont disponibles et plus faciles à établir et c’est formidable. De plus, si vous vous intéressez à l’international, vous pouvez découvrir d’autres cultures ici à Toronto.
Q : Quelle est la place de l’éducation expérientielle dans ce contexte ?
Valérie Florentin : Elle est devenue plus importante. C’est un moyen parfait pour la communauté étudiante d’avoir un aperçu de sa future réalité et de combler le fossé entre les études et le travail. C’est aussi un bon moyen pour les universités de s’intégrer davantage dans la communauté et de redonner. C’est bénéfique pour tout le monde : les entreprises ont un aperçu de leur future main-d’œuvre; les étudiants et étudiantes acquièrent de l’expérience et les universités se rapprochent de la communauté dont elles font partie.
Q : La population étudiante veut-elle plus d’autonomie ? Souhaite-t-elle orienter elle-même son apprentissage ?
Valérie Florentin : Oui, les étudiants et étudiantes veulent de la flexibilité et des options. Dans le passé, les jeunes fréquentaient l’université parce que leurs parents y étaient allés avant eux et s’attendaient à ce que leurs enfants fassent de même. La nouvelle génération est là parce qu’elle le souhaite. Elle a une certaine vision de l’université et des attentes par rapport aux études. Les jeunes veulent s’assurer d’en avoir pour leur argent. Aujourd’hui, ils vont à l’université parce qu’ils ont une idée de ce qu’ils veulent faire. Ils ont peut-être commencé des études, arrêté et changé de cap ou trouvé un cours qui les intéressait davantage et changé de programme. Ils ne sont pas là pour assister aux cours par obligation ; ils ont une idée de ce qu’ils veulent en retirer.
Q : En matière d’évaluation, qu’est-ce qui compte le plus ?
Valérie Florentin : L’équité ! Des aménagements sont nécessaires car tout le monde n’a pas le même niveau d’aptitude et certaines personnes ont des difficultés d’apprentissage et des exceptionnalités. Nous avons affaire à de jeunes adultes qui ont connu des changements liés à la pandémie et des changements sociaux et ce n’est pas si facile. Ils se posent beaucoup de questions sur leur avenir et doivent décider du type de personnes qu’ils veulent être. Ajoutez à cela le stress des examens.
Nous devons prendre tout cela en compte. Devrions-nous vraiment utiliser des courbes de distribution normales ? Ne devrait-on pas simplement nous demander si les objectifs sont atteints ou pas? Peut-on avoir une université sans notes ? Pouvons-nous évaluer sans noter, sans une réponse idéale et sans mettre l’accent sur les dissertations ? Il existe d’autres moyens de prouver que l’apprentissage a lieu sans recourir à nos approches habituelles. Mesurons-nous la capacité à gérer le stress ou évaluons-nous l’apprentissage ? Par ailleurs, l’élimination des notes réduit le niveau d’anxiété. Vous n’avez pas toujours besoin d’une note pour vous assurer que quelqu’un sait ce qu’il doit savoir.
Q : Dans quelle direction vont les choses selon vous ?
Valérie Florentin : L’éducation universitaire deviendra plus inclusive et plus accessible, et vous verrez beaucoup d’étudiants et étudiantes de première génération. Elle sera plus démocratique ; l’éducation permet d’égaliser les chances. J’espère que les universités s’ouvriront davantage au monde extérieur et tisseront des liens, par exemple avec l’éducation expérientielle ; j’aimerais que cela arrive plus souvent.
Q : Décrivez une classe de 2040.
Valérie Florentin : La moitié des étudiants seront en salle de classe et l’autre moitié seront en ligne, comme dans l’enseignement bimodal (Hyflex). J’espère que l’enseignement sera de plus en plus international, avec davantage de collaboration entre les universités afin d’exploiter les connaissances de chacun. Le système de notation serait équitable, tiendrait compte des exceptionnalités, des progrès et des efforts. Il pourrait aussi y avoir des cours ouverts où la communauté serait la bienvenue. Ces cours pourraient même avoir lieu dans des bibliothèques ou des parcs afin d’être moins intimidants.