Abeilles, « beewashing » et changement climatique : entretien avec Sheila Colla – Entrevue par Alyssa Ramos

Cet entretien a été réalisé par Alyssa Ramos, étudiante du programme d’apprentis chercheurs (PAC), campus Glendon, avec la professeure Sheila Colla, Faculté de changements environnementaux et urbains (https://www.savethebumblebees.ca). 


Comment en êtes-vous arrivée à étudier les abeilles et leur relation avec l’environnement et le changement climatique?  

Au cours de mon diplôme de premier cycle, l’Université de Toronto offrait la possibilité d’obtenir des crédits de cours en faisant du bénévolat dans un laboratoire. J’ai été placée dans un laboratoire qui étudiait l’écologie évolutive des abeilles et des plantes, où j’ai surmonté ma peur des abeilles. En travaillant dans ce laboratoire, je me suis rendu compte que personne n’étudiait le déclin des bourdons indigènes en Ontario, malgré les preuves du déclin rapide de certains d’entre eux. J’ai donc décidé de travailler sur ce sujet dans le cadre de mon doctorat à l’Université York. 

La plupart d’entre nous comprennent l’idée de l’écoblanchiment (« greenwashing »), lorsque des entreprises dépensent de l’argent dans des campagnes pour « paraître vertes » alors qu’elles mettent en œuvre des pratiques non durables. Mais l’idée de « beewashing » est nouvelle pour moi. Pouvez-vous expliquer ce que cela signifie?  

Le « beewashing » consiste à présenter des actions comme durables et/ou utiles pour les abeilles en déclin alors qu’elles ne le sont pas. L’exemple le plus frappant est la promotion des abeilles mellifères en dehors de leur zone d’origine, considérée comme bénéfique pour l’environnement ou les populations d’abeilles. En Amérique du Nord, nous avons environ 2 000 espèces d’abeilles indigènes, dont aucune n’est l’abeille européenne. Elles passent l’hiver à dormir et ne récoltent donc pas de miel (à l’exception des espèces du Mexique) et elles sont principalement solitaires (elles ne vivent pas dans des ruches). La plupart de nos espèces d’abeilles indigènes n’ont pas été évaluées en matière de conservation, mais pour celles qui l’ont été, les maladies introduites par les abeilles domestiques semblent constituer une menace majeure. Il est également de plus en plus évident que les abeilles mellifères peuvent perturber la pollinisation des plantes indigènes et qu’elles peuvent supplanter les abeilles indigènes pour le pollen et le nectar. L’abeille européenne n’est pas menacée d’extinction et est en fait l’un des animaux d’élevage et d’abeilles invasives les plus répandus dans le monde. Le fait que de nombreuses entreprises ajoutent des ruches d’abeilles et appellent cela une initiative de développement durable, alors qu’elles augmentent en réalité les pressions exercées sur les abeilles sauvages, est l’exemple même du « beewashing ».   Nous ne déverserions jamais un million de carpes asiatiques dans les Grands Lacs en disant que nous sauvons des poissons en déclin, alors pourquoi l’acceptons-nous avec les abeilles?  

Quelle est la relation entre les abeilles et le changement climatique? Quel est le lien entre votre travail de défense des abeilles sauvages et des « abeilles domestiques » — gérées par l’humain, par exemple, pour la production de miel — et le changement climatique? 

Les abeilles sont des animaux d’élevage. Elles produisent du miel, qui est un aliment que nous utilisons. Mais ce n’est pas lié au changement climatique. Pour faire face au changement climatique, nous devons conserver une communauté d’abeilles sauvages diversifiée et abondante. Si nous disposons d’un grand nombre d’espèces assurant des services de pollinisation, nos systèmes alimentaires et nos écosystèmes naturels seront plus résistants au changement climatique. Si nous réduisons la diversité et mettons tous nos œufs dans le même panier, il suffira d’une maladie ou d’un événement météorologique pour éliminer cette espèce et nous aurons de gros problèmes. La rapidité avec laquelle le varroa et le syndrome d’effondrement des colonies se sont répandus dans les colonies d’abeilles mellifères nous a montré à quel point cela était risqué. Il est également important de souligner que le changement climatique constitue une menace pour les abeilles sauvages, les plantes indigènes et d’autres espèces sauvages. Il est donc essentiel d’accorder la priorité à l’atténuation du changement climatique afin de préserver les pollinisateurs indigènes et d’autres espèces