Il est bien documenté que les nouveaux arrivants ayant un nom étranger et/ou des attributs physiques qui diffèrent de ceux de la population majoritaire sont victimes de discrimination lors de leur recherche d’un emploi ou d’un logement (Gaddis 2015; Gaddis et Ghoshal 2015; Hanson et Hawley 2011; Widner et Chicoine 2011). De façon similaire, les membres des minorités visibles tendent à être perçus de façon plus négative que d’autres par la population majoritaire (Terkildsen 1993; Harell et al. 2012; Iyengar et al. 2013; Weaver 2012). Le fait d’être visiblement différent est donc un obstacle bien documenté à une inclusion réussie. En plus d’être visiblement distinct, cependant, les nouveaux arrivants peuvent aussi être audiblement différents, c’est-à-dire qu’ils parlent la langue officielle avec un accent. Nous appelons ces personnes des membres de « minorités audibles ». Pourtant, malgré des indications de l’existence de préjugés à l’égard de ces minorités (Peled et Bonotti 2019), il y a peu de recherches sue le degré auquel le fait de parler avec un accent peut entraver l’inclusion réussie des nouveaux arrivants. Notre projet a abordé cette question en enquêtant sur la prévalence des préjugés à l’égard des minorités audibles et les effets de ceux-ci sur leur capacité d’être reconnus comme de véritables membres de la communauté.
L’inclusion réussie des nouveaux arrivants dépend en partie du développement d’un sentiment d’appartenance à la communauté. Les conséquences d’un faible sentiment d’appartenance et d’un sentiment de rejet vont d’une faible estime de soi et de maladies mentales et physiques (Branscombe et al. 1999; Finch et al. 2000; Whitbeck et al. 2002) à un désengagement des affaires sociales et politiques (Bilodeau et al. 2019; Oskooli 2016). Il s’ensuit que si le fait de parler avec un accent étranger sert d’obstacle à une acceptation et une reconnaissance comme de véritables membres de la communauté, identifier pourquoi et dans quelles conditions une telle discrimination a lieu constitue un outil important pour favoriser l’inclusion.
Les objectifs de notre projet étaient triples. Premièrement, nous avons évalué la prévalence de discrimination à l’égard des minorités audibles et à quel point ces préjugés affectent la perception de celles-ci comme de véritables membres de la communauté. Dans ce but, nous avons mené un sondage avec une expérience intégrée en vue d’évaluer comment les populations majoritaires réagissent à des messages communiqués par des Canadiens ayant des accents de quatre origines nationales différentes : local dominant, polonais, haïtien/jamaïcain et chinois.
Deuxièmement, nous avons examiné l’intersectionnalité entre le fait d’être une minorité visible et une minorité audible. En suivant les aperçus des recherches sur l’intersectionnalité (McCall 2008), nous avons voulu savoir si les conséquences négatives du fait de parler avec un accent sont plus grandes quand les locuteurs sont aussi membres d’une minorité visible. Nous avons fait l’hypothèse que les répondants de toute origine seront victimes de discrimination en parlant avec un accent étranger mais que les conséquences seront plus grandes pour ceux qui sont également membres d’une minorité visible.
Finalement, nous avons voulu savoir à quel point la discrimination à l’égard des minorités dépend du contexte. À cet effet, nous avons évalué la prévalence de discrimination à l’égard des minorités audibles de façon séparée en Ontario et au Québec. Nous avons fait l’hypothèse que la discrimination à l’égard des minorités audibles serait plus répandue au Québec qu’en Ontario étant donné la centralité de la langue (insécurité) pour l’identité québécoise (Bouchard 2012). De plus, tant en Ontario qu’au Québec, nous avons évalué la prévalence de discrimination à l’égard des minorités audibles séparément dans des régions urbaines (Montréal et Toronto) et non urbaines. Étant donné que les régions non urbaines offrent moins de chances de contacts avec la diversité ethnoculturelle, contacts qui sont reconnus comme étant d’une importance capitale pour la réduction de réactions xénophobes (Forbes 1998; Dirksmeier 2014), nous avons fait l’hypothèse que la discrimination à l’égard des minorités audibles serait plus répandue dans des régions non urbaines que dans de grandes zones urbaines comme Toronto et Montréal.
Quelle a été notre approche?
La recherche sur la diversité a établi depuis longtemps que les attitudes à l’égard des membres de groupes minoritaires sont influencées par des indices ethniques. Cependant, cette littérature se concentre fortement sur des indices visuels telles que des noms à consonance ethnique sur une demande d’emploi ou la couleur de la peau d’individus racisés. Il est intéressant que la littérature sur les attitudes linguistiques montre que les indices auditifs tels que les accents étrangers sont extrêmement importants pour le développement des attitudes à l’égard des nouveaux arrivants. Les deux champs de recherche concluent que les indices ethniques ont un impact significatif sur les perceptions de la confiance et de la crédibilité : les membres du groupe majoritaire sont moins susceptibles de trouver que les membres des groupes minoritaires sont fiables et crédibles comparativement aux membres de leur propre groupe. Cependant, il n’est pas clair lesquels des indices, auditifs ou visuels, ont le plus grand effet sur la confiance et la crédibilité. Et les effets sont-ils additifs et intersectionnel, ce qui ferait que les membres d’une minorité tant visible qu’audible souffriraient d’encore plus de discrimination? Nous avons tenté de répondre à ces questions en utilisant des données d’une expérience intégrée dans un sondage en ligne mené auprès de 1200 résidents adultes du Québec et 1200 résidents adultes de l’Ontario. Nous avons examiné la perception qu’ont les membres du groupe majoritaire de la crédibilité d’experts en changement climatique ayant une diversité d’origines ethniques et d’accents. Nos résultats suggèrent que le fait d’avoir un accent étranger et le fait d’être racisé entravent tous les deux la capacité d’être perçu comme un expert légitime, fiable et crédible par les membres du groupe majoritaire de la société canadienne. De plus, nous avons constaté des différences frappantes dans l’effet des indices ethniques en Ontario et au Québec, ce dernier privilégiant des indices auditifs plus que le premier.
Notre projet sur la prévalence et les conséquences de la discrimination à l’égard des minorités audibles s’articulait autour de trois types d’activités différents : un sondage, des présentations et une publication évaluée par des pairs.
- La première activité consistait à mener un sondage auprès de 2400 Canadiens, dont 1200 résidaient en Ontario (600 du Grand Toronto et 600 du reste de la province) et dont 1200 résidaient au Québec (600 du Grand Montréal et 600 du reste de la province). Tous les répondants étaient nés au Canada, n’étaient pas membres d’une minorité visible et avaient comme langue maternelle soit l’anglais (pour l’Ontario) soit le français (pour le Québec). Nous avons voulu mesurer la réaction des Canadiens du « groupe majoritaire » face aux accents étrangers. Les répondants ont écouté un clip audio d’environ 20 secondes. Il s’agissait d’une annonce publicitaire pour une fausse campagne de sensibilisation à une question sociopolitique (question spécifique à déterminer). Le message sollicitait un appui à la question au moyen d’arguments, de faits et de statistiques. Le même message a été enregistré utilisant des locuteurs ayant quatre accents différents : local dominant, polonais, haïtien/jamaïcain et chinois. Les répondants ont été assignés de façon aléatoire à une seule version du message. Étant donné la prévalence linguistique dans chaque province, l’expérience s’est déroulée uniquement en anglais en Ontario et en français au Québec. Afin d’évaluer l’intersection des deux discriminations, à l’égard des minorités audibles et à l’égard des minorités visibles, l’expérience a utilisé une conception factorielle. Cela voulait dire qu’une deuxième manipulation figurait dans la conception. Tous les répondants ont vu une affiche publicitaire pour la campagne de sensibilisation qui accompagnait le clip audio. L’affiche comportait un slogan. La moitié des répondants ont vu l’affiche avec le texte seulement. L’autre moitié ont vu la même affiche mais avec en plus l’image d’une de trois personnes : une personne blanche (correspondant à l’accent local dominant ou polonais), une personne noire (pour l’accent haïtien/jamaïcain) ou une personne asiatique (pour l’accent chinois). Les répondants ont été ensuite invités à répondre à quelques questions au sujet du clip. Nous avons évalué les conséquences de la discrimination basée sur les accents en termes de cognition, affection et évaluation. Premièrement, en ce qui concerne la cognition, nous avons évalué si les répondants faisaient preuve d’une moins grande rétention des informations du message audio selon l’accent et l’origine du locuteur. Deuxième, en ce qui concerne l’affection, nous avons évalué à quel point les répondants ont pu s’identifier et faire confiance au message selon l’accent et l’origine du locuteur. Et troisièmement, en termes d’évaluation, nous avons constaté à quel point les participants trouvaient le message efficace et convaincant selon l’accent et l’origine du locuteur. Le sondage comportait aussi de multiples contrôles, tels que les caractéristiques démographiques.
- Le deuxième type d’activité était des présentations. Il s’agissait d’une présentation à une conférence académique (Métropolis 2021) ainsi qu’une présentation à notre partenaire communautaire, PROMIS. Les objectifs de ces présentations étaient de 1) sensibiliser à la prévalence de discrimination basée sur l’accent, 2) mieux préparer les fournisseurs de services et les bénéficiaires à cette réalité, et 3) développer de meilleures pratiques pour combattre une telle discrimination.
- Le troisième type d’activité était la publication d’un article scientifique évalué par des pairs. Suivant les objectifs du projet, cette publication évaluait l’ampleur de la discrimination à l’égard des minorités audibles et évaluait à quel point cette discrimination varie selon les contextes (provincial, urbain ou non urbain), à quel point cette discrimination varie selon l’origine national des locuteurs et à quel point elle recoupe la discrimination à l’égard des minorités visibles.
Directeur de projet :
- Antoine Bilodeau, Professeur de sciences politiques, Concordia, antoine.bilodeau@concordia.ca
Co-investigateur :
- Dr. Jean-Philippe Gauvin, Chercheur postdoctoral, Sciences politiques, Concordia
Partenaires communautaires :
- PROMIS Aid to immigrants and refugees (Montreal)