L’Observatoire du populisme au Canada a été créé dans le cadre de la Chaire de recherche York sur le populisme, les droits et la légalité, détenue par Emily Laxer, professeure agrégée de sociologie au campus Glendon de l’Université York. L’objectif général de la chaire est de découvrir les impacts des populismes émergents sur les débats contemporains concernant la réforme constitutionnelle, les droits des minorités et la primauté du droit au Canada. Il se compose de plusieurs projets de recherche interdépendants, entrepris par Mme Laxer et une équipe d’étudiants diplômés de York.
Voici un aperçu de certains de ces projets :
Introduite en 1982, la clause dérogatoire permet aux parlements fédéral et provinciaux du Canada de contourner les articles 2 et 7 à 15 de la Charte des droits et libertés pour une période de cinq ans. Hormis son utilisation répétée par le gouvernement provincial du Québec entre 1982 et 1985, la clause n’a été invoquée que quatre fois avant 2000. Pourtant, depuis 2017, elle a été brandie de manière crédible à six reprises par les gouvernements de l’Ontario, du Québec, de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick.
Quel rôle, le cas échéant, la montée du populisme a-t-elle joué dans cette utilisation accélérée de la clause dérogatoire ? Mme Laxer et son équipe s’efforcent de répondre à cette question en analysant les débats parlementaires relatifs à l’utilisation récente et très médiatisée de cette clause en Ontario et au Québec.
Cette clause a été invoquée pour la première fois en Ontario par le premier ministre Doug Ford ; il l’a utilisée en 2021 pour contourner les contestations du projet de loi 307, qui restreint la publicité des tiers pendant les 12 mois précédant les élections. Le gouvernement de M. Ford a également menacé d’utiliser la clause dérogatoire à deux autres occasions, mais ne l’a finalement pas fait : en 2018, pour contourner les objections au projet de loi 5, qui réduisait la taille du conseil municipal de Toronto ; et en 2022, pour imposer un contrat aux travailleurs de soutien à l’éducation de l’Ontario et passer outre leur droit de grève (projet de loi 28). L’invocation de la clause dérogatoire est également devenue une habitude pour le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault, qui l’a utilisée en 2019 pour interdire à certains employés du secteur public québécois de porter des signes religieux au travail (projet de loi 21), et en 2021, pour protéger son projet de loi sur la réforme linguistique (projet de loi 96) contre les contestations fondées sur la Charte.
Les résultats préliminaires suggèrent qu’en justifiant le recours à la clause dérogatoire à ces cinq occasions, les gouvernements Ford et Legault se sont inspirés d’un cadre opposant le « peuple » à l’« élite » qui est caractéristique du populisme. Pourtant, leurs programmes idéologiques différents ont finalement produit des approches stratégiques différentes envers les droits et la légalité.
Adoptée en décembre 2022, l’Alberta Sovereignty within a United Canada Act (ASA, en abrégé) habilite ostensiblement le gouvernement de l’Alberta à ne pas tenir compte des lois fédérales qu’il considère comme ne relevant pas de la compétence fédérale ou comme étant « nuisibles » aux Albertains. Les partisans de l’ASA décrivent celui-ci comme défendant les intérêts du « peuple » albertain contre les « élites » d’Ottawa qui imposent des politiques néfastes en matière d’environnement et de santé publique. Les détracteurs de l’ASA l’ont qualifié d’antidémocratique, voire d’anticonstitutionnel. Ce projet de loi constitue donc une étude de cas idéale de la relation entre le populisme et la primauté du droit.
Dans le cadre de ce projet, Mme Laxer et son équipe cherchent à découvrir les forces sous-jacentes et les conséquences de l’ASA. Ils demandent :
- Comment l’ASA s’inscrit-il dans l’histoire de la culture politique albertaine, en particulier l’accent mis sur « l’aliénation de l’Ouest » et l’économie politique du capitalisme fossile ?
- Le populisme de Mme Smith est-il une simple continuation des traditions populistes de droite en Alberta ? Ou représente-t-il une radicalisation de ces tendances ?
- Quel rôle les groupes autonomistes, séparatistes et de « liberté » ont-ils joué dans l’accession au pouvoir de Mme Smith et de l’adoption de l’ASA, et quelles sont les implications pour comprendre la « généralisation » de l’extrême droite en Alberta ?
L’étude s’appuie sur de multiples sources de données, notamment des articles de presse, des sondages d’opinion, des entretiens accessibles au public avec des acteurs et des organisations influents de la société civile — et des contenus publiés par ces derniers — et des débats parlementaires.